Epidémiologie des Troubles Bipolaires chez l’Enfant et l’Adolescent

Les données à propos de la prévalence du TB restent insuffisantes en raison, non seulement de l’absence de consensus concernant les critères diagnostiques (qui sont ceux de l’adulte, y compris dans le récent DSM V) mais également du faible nombre d’études longitudinales dans cette tranche d’âge. Les résultats sont souvent extrapolés des études rétrospectives menées chez l’adulte. Il est donc difficile de donner un chiffre précis de prévalence de ces troubles pour la période adolescente. La question primordiale est celle du diagnostic, nous considérerons ici les critères du NICE (www.nice.org.uk), TB de type 1 diagnostic étroit, comme pertinent.
Pour les plus jeunes adolescents, le TB peut être sous-diagnostiqué et diagnostiqué tardivement en raison d’une sémiologie chez l’enfant pré-pubère et le très jeune adolescent pouvant être différente (épisode inaugural dépressif
vs maniaque, cycle volontiers plus court, états mixtes plus fréquents…).
Le trouble bipolaire peut également, chez les jeunes adolescents en particulier, être sur-diagnostiqué, car les différences avec l’hyperactivité avec déficit attentionnel (THADA) ou même une euphorie développementale peuvent être délicates à percevoir
1.
Données directes :
•Dans une étude menée auprès de 1709 collégiens/lycéens âgés de 14 à 18 ans, Lewiston a interrogé uniquement les adolescents et non les parents avec le questionnaire K-SADS (Schedule for Affective Disorder and Schizophrenia for School-Age Children) a trouvé une prévalence du trouble bipolaire de 1% avec une prédominance de trouble bipolaire II et de cyclothymie (0.1 % pour le TB de type 1) 2. Dans cette étude, les auteurs retrouvent également 5,7% des élèves qui avaient des symptômes subsyndromiques se manifestant par une légère élation de l’humeur et une irritabilité de survenue périodique, correspondant au trouble bipolaire non spécifié.
•L’étude de Kim-Cohen sur la cohorte de Dunedin retouve une prévalence vie entière de même ordre (1% pour TB I & II et 0.1% pour le TB I)
3.
Ces deux études ont longtemps été les études de référence chez l’adolescent. Plus récemment deux travaux bien conduits et regroupant des auteurs aux positions modérées sur ce sujet polémique, ont conduit à revoir cette prévalence. Il s’agit :
•Du travail de méta-analyse de Van Meter en 2012 reprenant 12 études (qui incluent ces deux études) 6 aux USA et 6 dans des pays, européens (Hollande, Espagne, Irlande) ainsi que le Mexique et la Nouvelle Zélande 4. Ce travail montre qu’il n’existe pas de différence significative entre les données des différents pays étudiés comparés aux USA (après correction d’un important écart de prévalence de 0 à 6% en fonction des critères diagnostics incluant parfois les cyclothymies). Sur 16 222 jeunes de 7 à 21 ans, il n’existe pas d’augmentation de la prévalence en fonction de l’année de publication, ce qui signifie que le taux de TB reste stable dans cette population. Les résultats retrouvés sont TB I & II = 1.8 (95%CI 1.1-3) et TBI seul = 1.2 (95%CI 0.7-1.9).
•Et d’une étude récente sur l’état maniaque dans une population US (10 123 sujets de 13 à 18 ans). Retrouvant une prévalence de 2.5 % (BP I & II) et
1.7% pour le BP I seulement. L’état maniaque est retrouvé chez 1.7 % des sujets (deux fois plus chez les sujets de 17-18 ans que de 13-14). Ces données sont proches de ce que l’on retrouve chez l’adulte, marquant en tout état de cause, l’existence d’une période clé dans le développement de la maladie à l’adolescence 5

Cette donnée concernant la période adolescente comme étant à risque pour le développement de TB ultérieur est solide et déjà évoquée dans d’autres travaux
6, 7.


Différence selon le sexe 
Biederman et al. (2004) ne trouvent pas de différence d’incidence, selon le sexe, ni pour le trouble bipolaire pédiatrique type I, ni pour la cyclothymie, ni pour le trouble bipolaire non spécifié 8. Toutefois, certains auteurs comme Berk et al. (2005) trouvent un taux plus élevé de trouble bipolaire de type II chez les adolescentes que chez les adolescents, ce qui coïncide avec les données des adultes 9. Toutefois ils attribuent cette différence à un biais basé sur l’hypothèse que les adolescentes exprimeraient davantage leurs affects dépressifs et chercheraient plus facilement de l’aide. Néanmoins, les filles avec un TB semblent présenter plus de symptômes de dépression tandis que les garçons avec un TB montrent plus des symptômes maniaques et des signes de THADA. Le sexe ne semble pas non plus avoir une valeur prédictive sur la durée de la maladie et sur le risque de rechute.

Etudes rétrospectives chez l’adulte : Début des TB Adulte (1% de la population) avant 18 ans dans 30 à 60 % des cas
De façon indirecte, on peut s’intéresser aux études rétrospectives faites chez les adultes montrent que 60% des patients ont présenté des symptômes avant l’âge de 20 ans et 10 à 20% avant l’âge de 10 ans 10, 11. Dans une autre étude rétrospective faite chez des adultes 12, 30% des sujets étaient symptomatiques avant 13 ans et 40% entre 13 et 18 ans. Post et Kowatch (2006) rapportent que 15 à 28% des adultes bipolaires ont vu débuter leur maladie avant 13 ans 13. Toutefois, dans une étude récente réalisée dans le cadre d’une collaboration américo-européenne (Bipolar Collaborative Network - BCN), sur 7 lieux différents dont 3 en Europe et 4 aux Etats-Unis, Post et al. (2008) relèvent une différence d’incidence de TB entre l’Europe et les Etats-Unis : 61% des patients américains débuteraient leur maladie avant 19 ans contre seulement 30% des patients européens dont seulement 2% avant l’âge de 12 ans 14.
Risque familial : Il existe un risque plus important pour les adolescent ayant un parent bipolaire
Dans une récente étude où sont comparés 388 enfants de parents bipolaires, âgés de 6 à 18 ans, avec 251 enfants de parents sains de la même tranche d’âge, Birmaher et al. (2009) trouvent que les enfants de parents bipolaires ont 14 fois plus de risque de développer des symptômes du spectre bipolaire et environ 2 à 3 fois plus de risques de développer un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux15. La plupart de ces épisodes débutent dans l’enfance avant l’âge de 12 ans, correspondant à un trouble bipolaire non spécifié et, dans des proportions moindres, à des épisodes dépressifs. Les enfants ayant 2 parents bipolaires ont 3,6 fois plus de risques de développer un TB sans avoir toutefois plus de risques de développer une autre psychopathologie en comparaison avec les enfants ayant 1 parent bipolaire, témoignant ainsi d’une transmission familiale spécifique du trouble bipolaire. Lapalme et al. (1997)  trouvent que 4% à 15% des enfants ayant des parents bipolaires développent un TB contre 0 à 2% chez les enfants de parents sains16. Selon Lapalme et al. (1997) le risque de développer un trouble psychiatrique est 2,7 fois plus élevé chez les enfants de parents bipolaires que chez les autres et le risque de souffrir d’un trouble de l’humeur est 4 fois plus important parmi cette population. Chang et al. (2000) ainsi que Duffy et al. (1998) relèvent que 14 à 50% des enfants de parents bipolaires présentent des symptômes du spectre bipolaire17, 18. Berk et al. (2005) trouvent que 5% des jeunes à risque présentent les critères diagnostiques du spectre bipolaire à un moment de leur vie, contrairement à 0% chez les contrôles9.


Au total, il existe une certaine confusion des données dans la mesure où:
les critères adultes du TB de type 1 laissent la possibilité de diagnostiquer un TB avec un THADA, cette « comorbidité discutable » est cependant peu fréquente chez l’adolescent (alors qu’elle est très élevée chez l’enfant, ce qui est une des questions qui se posent autour de la validité du Dg chez l’enfant). On peut estimer, chez l’adolescent, qu’il y a moins de 20% de comorbidité avec le THADA ( chiffre de l’étude en retrouvant le plus et qui associe un Dg large de TB 19). Pour les partisants du TB a Dg large (1, 2 et Non Spécifié) cette comorbidité pourrait être un signe de gravité, et pour certains auteurs être, même, un sub-type sévère spécifique 20.
Il existe une extension du TB au type 1 et 2 et même à un Spectre des TB qui rend les études difficilement comparables. Les récentes méta-analyses sont cependant de qualité et tiennent compte des critères dg, c’est pour cela que nous retiendrons leurs chiffres.

On peut avancer avec prudence que que si le chiffre de 0.1, considéré encore il y a peu comme la règle en France
21, 22 n’est plus pertinent, celui de  à 1.7 % est probalbement trop élevé et en lien avec l’extension du diagnostic, en particulier outre-atlantique. Il est raisonnable aujourd’hui de proposer une prévalence autour de 1% du TB 1 à l’adolescence.  Mais des études supplémentaires en Europe et en France sont hautement nécessaires.